L’Alésia du Jura
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La permanence des lieux cultuels

  Diodore de Sicile n’est pas le plus connu des historiens de l’Antiquité. Il n’en reste pas moins une source de renseignements irremplaçables. Il nous intéresse à trois titres : contemporain de César, c’est un témoin direct ; grand voyageur, il parcourut la Gaule pour y recueillir ses propres informations ; et sa « Bibiothèque Historique » évoque directement l'Alésia antique. Comme tous les autres historiens écrivant en grec il fut systématiquement négligé par les partisans d’Alise-Sainte-Reine. Bien à tort.

  Car ce qu’il nous dit est des plus clairs : l’Alésia antique était la métropole et le foyer (religieux) de toute la Celtique ; et elle était encore vénérée à son époque.

  
Métropole, ce mot grec utilisé dans un texte écrit en grec par un auteur dont la langue maternelle était le grec (il apprit plus tard le latin), ne peut désigner qu’une grande ville ayant un rayonnement au moins intellectuel que nous dirions aujourd’hui national au risque d’un anachronisme. Que ce rayonnement fût religieux incite nécessairement à penser que s’y déroulaient des événements religieux, disons plutôt cultuels, cérémonies, rassemblements, initiations… Et plaignons Alise-Sainte-Reine avec sa colline réduite, vaguement garnie à son sommet étriqué de rares vestiges de cabanes supposées gauloises, au sol en terre battue et au rayonnement problématique.

  Nécessairement aussi, cette grande ville possédait des lieux où se déroulaient ces manifestations cultuelles. Et en raison de son rayonnement étendu à toute la Celtique, ces lieux étaient spacieux, organisés et probablement nombreux (songeons à Delphes ou à Epidaure). De tels monuments se trouvent en nombre dans l’Alésia du Jura. Heureuse circonstance, depuis peu Alise-Sainte-Reine dispose d’un petit endroit baptisé temple gaulois ; c’est tout, et même s’il n’est pas plutôt gallo-romain, ce modeste pas grand-chose devait avoir du mal à rayonner sur toute la Celtique.

  Retour à Diodore de Sicile. Il nous dit aussi que l'Alésia antique fut fondée par Heraclès lors d’un détour dans la région des Alpes, et le Jura en est tout près. Comme traces de son passage, il aurait laissé des murs faits de pierres comme lui seul pouvait en remuer, énormes. Heraclès n’est ici qu’un mythe évoquant des populations préceltiques. Et des traces de murs gigantesques parsèment la partie centrale de l’oppidum du Jura. Leurs traces font même le dessin complet d’une ville antique de six kilomètres de tour. Rien, mais rien de tel à Alise-Sainte-Reine, à commencer par une ville gauloise.

  Dans les études historiques, les interventions prêtées à des héros comme Heraclès ne sont pas à prendre à la légère. Sous la plume d’Oswyn Murray, l’ouvrage de référence « Le savoir grec » (Flammarion-2011), en commente ainsi un exemple fameux, le retour des Héraclides (les fils d’Héraclès) et la fondation de la Sparte dorienne historique :

  « L’une des plus anciennes formes de mythe dans la Grèce ancienne était le « mythe fondateur », un récit mythique d’événements passés qui fournissait l’explication d’un état de fait présent ou qui justifiait une activité présente…/…On peut (…) affirmer avec certitude le caractère rationnel de ce type de récit dont la fonction modeste est de relier le passé au présent. »

Ainsi, lorsque Diodore de Sicile (d’origine grecque, rappelons-le), reprend la tradition de la fondation d’Alésia il n’établit pas la réalité du passage d’Heraclès mais celle « d’un état de fait présent », l’existence des murailles humainement inexplicables, et relie ce fait présent au temps le plus lointain concevable pour lui, celui où des demi-dieux hantaient la terre, celui des temps préhistoriques pour nous.

  Précieux témoignage de la très haute ancienneté de l’Alésia du Jura et déni évident d’Alise-Sainte-Reine où rien de tel, pourtant quasi indestruc-tible, n’a jamais été vu.

Mur préceltique en pierres colossales Rempart préceltique défendant la ville

  Ce double commentaire de Diodore de Sicile sur un même lieu ne doit-il pas faire penser à une pratique cultuelle réunissant tradition religieuse celte et monuments antérieurs ?

  C’était la position d’André Berthier. Pour lui, l’Alésia du Jura, placée à la fois à l’écart de la Gaule et sur une voie directe entre celle-ci et l’est de l’Europe d’où vinrent les premiers Celtes aurait conservé leurs plus anciennes traditions dans les lieux et les monuments mégalithiques de ceux qui les y avaient précédés.

  Position sacrilège !  Jamais, au grand jamais les Celtes n’avaient eu le moindre lien avec les mégalithes, constructions remontant bien avant eux jusqu’au néolithique. Du moins le proclamait encore récemment la science en place. Mais tout est changé et c’est André Berthier une fois de plus qui avait raison.

  Des fouilles pratiquées en territoire arverne comme en Provence et à la pointe du lac Léman ont révélé des preuves de leur redressement et de leur utilisation à l’époque gauloise. Précisons que ces fouilles ont été effectuées avec la rigueur scientifique qui devrait s’imposer dans toute l’archéologie officielle.

Mégalithe

C’est donc en accord avec l’utilisation celte des monuments mégalithiques établie par l’archéologie la plus récente qu’il faut maintenant voir les abondantes données cultuelles de l’Alésia du Jura.

Ce sont d’abord des constructions, non des dolmens classiques ni des allées couvertes mais de véritables élévations, monuments combinant des pierres brutes selon des plans ordonnés et des axes d’orientation constants d’un monument à l’autre. A ceux qui en doutent, qu’ils regardent les ajustements de « Haldacus » ou de « la Pyramide » et qu’ils soutiennent ensuite qu’il s’agit-là d’entassements naturels.

Quand l’archéologie se rallie
aux vues d’André Berthier
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Pyramide obtenue en utilisant les angles complémentaires de pierres naturelles. Monument dit « Haldacus »

  Mieux encore, il faut citer les monuments à niche, où des pierres brutes sont disposées de façon à évoquer l’équivalent d’un autel ou d’un reposoir avec une niche à son sommet et parfois une ou deux autres à mi-hauteur. Ces monuments sont exceptionnels. Le plus souvent les niches contiennent un agencement protecteur enserrant différents symboles ; ce sont des objets remarquables par leur forme (oiseau, tortue, champignon), leur nature (fossile, os), leur provenance (pierre d’origine lointaine), voire leur matière (élément de bronze travaillé) et leur répartition dans la niche.

Exemple de symbole abrité dans un monument : l’escargot fossile (Leviathania Santieri) provenant de « La structure aux trois dalles » Exemple de symbole abrité dans un monument : l’escargot fossile (Leviathania Santieri) provenant de « La structure aux trois dalles »

  On retrouve de même des symboles directement exposés sur certains monuments ou le mur d’enceinte de la ville. Ailleurs ce sont des triades (pierres placées par trois auprès d’une marque plus importante, souvent centrale), fréquentes dans toute l’Alésia du Jura. L’abondance de ces marques cultuelles est telle qu’il est encore impossible de savoir si leur inventaire est complet.

Symbole figurant dans le mur préceltique défendant la ville Monument dit « de Laurence » avec symbole central

  Particulièrement remarquables, les grands tumulus comportant une façade empierrée ; deux présentent un motif central. C’est ce motif en ogive (fausse porte ?) ou en cercle qui renforce la nature cultuelle de ces monuments. La dimension de ces façades est considérable, de 15 mètres de longueur pour la plus petite à plus de 17 mètres pour la plus grande, leur hauteur atteignant ou dépassant les deux mètres. Ces façades pouvaient être utilisées comme élévation lors de cultes publics, les esplanades qu’elles dominent pouvant recevoir éventuellement un grand nombre de personnes.

Tumulus dit « Mycènes » Mur préceltique estimé, avec motif (symbole solaire ?)  Magnifique tumulus placé en face de l’estrade dite « mur Allard »

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  Fondations comprises, ces murs atteignent sept à dix mètres de haut. Ce ne sont donc pas des « murets agricoles » comme le prétendent les partisans d’Alise-Sainte-Reine.     Cliquer sur une photo pour obtenir le diaporama

La réalité des faits mythiques dans la pensée antique

Gaius Tumulus avec façade empierrée dit « Delphes » Fausse porte symbolique du tumulus « Mycènes »

  On peut en rapprocher la haute estrade dite « mur Allard » qui présente une très longue façade en pierre haute de trois mètres. Placée au-dessus d’une vaste partie plane, cette estrade fait face à un grand tumulus de forme arrondie qui en est distant d’une centaine de mètres. L’ensemble évoque un lieu de rassemblement pouvant recevoir une foule importante. D’autres estrades plus réduites mais comparables et dominant chaque fois une vaste esplanade existent sur le site. L’une d’elle, entièrement fermée de pierres plates dressées, a des propriétés acoustiques exceptionnelles.

Alise-Sainte-Reine
et l’eldorado perdu
du camp Nord
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